L’avenir de la démocratie ne se joue pas dans 20 ans. Il se joue à 20 ans

(par Jawad Hanini) Une démocratie sans les jeunes est une démocratie incomplète. Le taux de participation des 18–24 ans est en chute libre depuis 20 ans. En 2003 déjà, leur participation était inférieure à la moyenne. En 2024, seuls 62 % des jeunes ont voté en Belgique, contre 87 % de la population générale. Ce n'est pas un détail, mais un signal d'alarme. Et la fracture dépasse le vote.
En 2004, 60 à 65 % des jeunes faisaient confiance aux partis politiques ; en 2024, ils ne sont plus que 39 %. La même défiance touche les médias, les syndicats et les parlements. Ce n'est pas un manque d'intérêt, mais un manque de reconnaissance. Les jeunes ne se sentent ni entendus, ni représentés. Leur quotidien, leurs priorités, leur langage n'ont pas de place dans la politique actuelle. Une démocratie qui les oublie se fragilis.
Ce n'est pas la démocratie qu'ils rejettent, c'est l'exclusion
88 % des Belges estiment ne pas être écoutés. Chez les jeunes, ce chiffre dépasse les 90 %. Ce n'est pas un rejet du système, mais un appel à sa transformation. Ils s'engagent autrement: climat, justice sociale, santé mentale. Pétitions, mobilisations sur TikTok, actions de terrain. Pourtant, ces formes d'engagement sont souvent ignorées par les institutions. Les jeunes sont les premiers concernés par les décisions d'avenir, mais rarement consultés. Ce n'est pas une génération apathique : c'est une majorité écartée.
Fracture numérique et désinformation, ces sont deux bombes à retardement. 42 % des jeunes s'informent via les réseaux sociaux. Mais ces contenus sont souvent biaisés, partiels, voire manipulés. Les formats simples et extrêmes y dominent.Les partis radicaux l'ont compris. Ils investissent TikTok, Instagram, X, avec des vidéos virales. Les partis traditionnels, eux, peinent à suivre.
Autre fracture: l'accès au numérique. Près de 17 % des jeunes bruxellois en situation précaire n'ont ni ordinateur personnel ni internet stable. Ce double fossé — d'accès et de discernement — accentue l'inégalité politique.
L'histoire est claire: les régimes les plus radicaux ont toujours ciblé la jeunesse. Hitler, Mussolini, Mao… Tous ont mobilisé les jeunes pour asseoir leur pouvoir. Comme disait Mao en 1966 : « Il faut que la jeunesse ose renverser le monde ancien. » Ces mouvements savent parler aux jeunes. Ils leur offrent une cause, une voix, une place. Si les démocraties ne font rien, les extrêmes la leur prennent.
Ce n'est pas un rejet du système, mais un appel à sa transformation. Ils s'engagent autrement: climat, justice sociale, santé mentale. Pétitions, mobilisations sur TikTok, actions de terrain.
À Molenbeek ou Forest, le PTB dépasse les 20 % chez les jeunes. En France, le Rassemblement National est en tête chez les moins de 25 ans. En Allemagne, l'AfD séduit une partie importante de la jeunesse de l'Est. La tendance est européenne.
Ce que disent les chiffres (2000–2025):
- 2003 : participation jeune dans certaines communes ≈ 70 %
- 2024 : moyenne à 62 %, parfois sous les 50 %
- +65 ans : participation > 85 %
- Confiance dans les partis : 39 % des jeunes
- Accès numérique : 17 % des jeunes précaires sans internet stable
- Sources d'info : 42 % des jeunes passent par les réseaux sociaux
Dans des quartiers comme Cureghem, Peterbos, les Marolles ou Schaerbeek Est, l'abstention jeune dépasse souvent 30 à 40 %, malgré le vote obligatoire. Ce n'est pas un oubli, mais un message: "la politique ne change rien pour nous". Ce sentiment d'abandon nourrit le rejet, voire l'adhésion aux extrêmes. À Molenbeek, le PTB a doublé ses voix en dix ans. L'extrême droite gagne aussi du terrain, dans les urnes comme dans les esprits. Le cordon sanitaire a été brisé, y compris mentalement.
Une responsabilité historique
Là où la démocratie se retire, le populisme avance. Il ne suffit plus d'appeler les jeunes aux urnes : il faut les impliquer. Leur confier une place dans le débat, des responsabilités concrètes, c'est reconnaître qu'ils vivront plus longtemps avec les décisions prises aujourd'hui. Ils ne sont pas désengagés. Ils veulent une démocratie plus directe, participative et réaliste.
Les partis démocratiques se réinventent trop lentement. Ils n'ont plus le monopole de la compétence. Ils doivent aller plus loin : intégrer les jeunes dans les décisions, les campagnes, les programmes. Pas comme faire-valoir, mais comme moteurs.
Selon le European Youth Forum (2024), seuls 31 % des jeunes Européens se sentent écoutés par les institutions. En Belgique : 27 %. L'un des pires scores de l'UE. Aux élections européennes de 2024, moins de 50 % des jeunes ont voté dans la plupart des pays. Pourtant, ils restent attachés à l'idée européenne : climat, paix, numérique, mobilité. Mais ils ne s'y sentent pas pleinement citoyens.
Les extrêmes, eux, ont investi les réseaux. Le bloc ID–ECR–Fidesz a dépensé 2,4 millions d'euros en pubs sur Facebook/Instagram, avec 12 000 contenus sponsorisés. Simplistes, identitaires, viraux. Résultat: 187 sièges au Parlement européen pour l'extrême droite, presque autant que le PPE. En grande partie grâce a sa jeunesse.
La Commission Fédérale Jeunesse propose un Conseil de 50 jeunes (16–26 ans), désignés par un jury indépendant, pour rendre un avis officiel sur toutes les lois qui les concernent : emploi, climat, santé mentale, éducation, numérique… Déjà soutenu par 106 députés sur 150,ce projet vise à donner une voix directe à la jeunesse. Il s'accompagne d'autres propositions : vote à 16 ans, gratuité des protections hygiéniques, représentation plus diverse.
Une éducation civique moderne
Instaurer dès le secondaire un cours neutre, annuel ou trimestriel, sur la démocratie, les institutions, la participation, le numérique et les enjeux contemporains. Non partisan, mais formateur.
Tant qu'on parlera des jeunes comme "l'avenir", on les tiendra à l'écart du présent. Les décisions prises aujourd'hui les concernent directement. Il est temps de les inclure. Ils ne sont pas absents de la démocratie : ils en sont les grands oubliés. Et si on continue à les ignorer, ce n'est pas eux qui s'éloigneront de la politique, c'est la politique qui s'éloignera du réel. Inclure les jeunes, ce n'est pas un luxe. C'est une urgence démocratique. Parce que changer les choses, c'est facile. Mais les changer bien, c'est difficile.
Jawad Hanini a 17 ans, est Bruxellois
et effectue un stage au sein du groupe Open VLD au Parlement bruxellois.